Confinement, cerveau probabiliste et incertitudes : un cocktail explosif !

par Sandra Guimond, neuropsychologue et psychologue chez Psycho-Experts

Depuis le début des mesures de confinement, vous vous sentez étrangement fatigué et même parfois épuisé? Vous vous dites que le stress peut expliquer le tout et vous n’avez pas tort ! Cependant, quelles sont les causes réelles de ce stress ? Bien sûr, les craintes pour sa santé et celles de ses proches ainsi que l’avenir économique incertain sont de bonnes raisons de s’en faire. Toutefois, des éléments plus subtils peuvent vous aider à comprendre ce qui se passe réellement dans votre tête à l’heure actuelle. Trois suspects peuvent être pointés : les habitudes, le besoin de faire des probabilités et le surdosage d’informations.

Les habitudes ou les automatismes qui font du bien !!

Dans notre vie pré-confinement, nous avions une panoplie d’automatismes sociaux et cognitifs qui aidaient notre cerveau à faire son travail en demandant le minimum de ressources. Par exemple, je rencontrais une nouvelle personne et je n’avais pas à me demander la distance nécessaire pour lui parler en sécurité et je ne devais pas songer à m’empêcher de lui serrer la main. Le matin, je savais parfaitement ce que je devais faire : levée, douche, déjeuner, habillement, faire mon lunch et aller travailler. L’horaire était fixe et je n’avais pas à réfléchir pour savoir ce que je devais faire. Nous n’en avons pas conscience, mais tous ces scriptes que sont les habitudes nous permettent d’éviter la surcharge mentale.

Les grands responsables de nos habitudes sont les noyaux gris centraux. Ce sont des structures très anciennes qui se trouvent en profondeur à l’intérieur de votre cerveau. Ils ressemblent à une sorte de boule de tissus grosse comme une balle de golf. Les noyaux gris sont essentiels pour construire et se rappeler des habitudes autant sur le plan moteur, cognitif que social. La nouvelle situation à laquelle nous sommes confrontés met la contribution de nos noyaux gris sur pause. Le cerveau doit donc s’activer beaucoup plus qu’en temps ordinaire pour répondre aux demandes de son environnement ce qui est extrêmement énergivore. Donc, la mise en échec de nos habitudes, c’est vraiment fatigant !

Un cerveau probabiliste qui n’aime pas les incertitudes

Une autre facette du fonctionnement du cerveau qui est mise à mal par la pandémie est notre besoin d’émettre des probabilités. L’humain aime bien avoir une certaine idée de ce qui va lui arriver dans un avenir proche. Cette capacité le rassure et l’aide à faire des choix. Actuellement, nous ne savons pas tellement ce que l’avenir nous réserve. Serons-nous libres de retourner travailler, étudier ou faire nos courses dans quelques semaines ou quelques mois ? Nous ne le savons pas ! Quand y aura-t-il un vaccin pour la COVID 19 ? Nous ne le savons pas ! Qu’elle sera l’état de l’économie à la fin de la pandémie ? Nous ne le savons pas! Je pourrais continuer ainsi pendant plusieurs paragraphes. L’ensemble de ces incertitudes est extrêmement stressant et fatigant. De plus, toutes les personnes ne sont pas outillées de la même manière pour faire face à l’incertitude. Certains individus sont plus fragiles que d’autres sur ce plan ce qui génère son lot de malaises psychologiques.

Surdosage d’informations

Pour se calmer face à l’incertitude, le cerveau va essayer de trouver un sens à tout ce qui arrive. C’est pour répondre à ce besoin que plusieurs personnes vont chercher le plus d’informations possible. Si je saisis mieux la situation, je suis plus à même de faire des prédictions sur ce qui va arriver et je peux ainsi relaxer un peu. Cette façon de faire n’est pas mauvaise en soi, mais tout est une question d’intensité. Écouter pendant des heures des reportages met en surchauffe votre capacité de traiter les informations. Cette dernière n’est pas illimitée et si elle est trop sollicitée, une impression de saturation cognitive peut survenir. Lors de ces moments, on se sent encore plus débordé et démuni qu’avant nos recherches intensives.

Une autre conséquence d’une recherche effrénée de sens est de nous faire tomber dans le piège des théories du complot. Plus une situation est incertaine et complexe et plus elle génère des explications simplistes visant à trouver un ou des coupables à la situation désagréable que nous vivons. Malheureusement, même si ce genre d’éclaircissements nous rassurent à court terme, ils sont souvent au prix d’un coût terrible à moyen terme en nous éloignant de la vérité et en créant des boucs émissaires qui, dans la grande majorité du temps, sont des personnes tout à fait innocentes de ce quoi on les accuse.

Finalement, si nous sommes constamment en train de chercher des informations sur la COVID-19, nous activons à répétition certains types de neurones appelés « cellules concepts ». Ceux-ci s’adaptent rapidement aux informations auxquelles nous les exposons. Je veux dire par là que plus nous cherchons des renseignements sur le virus et plus nous augmentons le nombre de neurones qui se spécialisent sur le sujet. La résultante de cette hyperstimulation est de créer des traces très fortes en mémoire du virus et de toutes ses conséquences effrayantes. La force de cette trace amène les neurones à s’activer très facilement et même spontanément sur le sujet, ce qui donne l’impression de toujours penser à la COVID 19. La stratégie initiale qui visait à diminuer le stress vécu par la pandémie a donc toutes les chances de provoquer l’effet contraire de celui recherché !

Que doit-on faire alors ?

Il existe quelques stratégies efficaces afin de diminuer le stress lié à la perte des habitudes, à l’incertitude et à la recherche trop intense de sens.

1. Instaurez de nouvelles routines pour aider les noyaux gris à faire leur boulot! Donnez-vous une heure de coucher et de lever fixe. Mangez selon un horaire régulier. Si vous n’effectuez pas de télé-travail, trouvez une activité plaisante comme apprendre une nouvelle langue, améliorer vos habiletés culinaires ou apprendre une danse dans laquelle vous vous investissez d’une manière régulière tous les jours. La même logique s’applique aux enfants. Plus vous avez de nouveaux automatismes et moins vous demandez de ressources à votre cerveau. Vous avez donc plus d’énergie pour faire face à votre journée.

2. Prendre la décision consciente de se confiner. Vous pouvez réfléchir sur les coûts et bénéfices du confinement et prendre le choix éclairé que le confinement est la meilleure solution possible pour vous et la collectivité dans la situation actuelle. Cette stratégie augmente le sentiment de contrôle ce qui rassure en fin de compte.

3. Accepter progressivement que vous avez un contrôle limité sur ce qui se passe. Faire appel à une vision plus réaliste du monde où vous comprenez qu’il y a des choses que vous pouvez contrôler et d’autres qui ne sont pas de votre ressort. Par exemple, vous avez un impact très faible sur les décisions des leaders de ce monde par rapport à la pandémie. Vous inquiétez à ce sujet ne mène à rien. Cependant, vous avez un pouvoir sur le fait de respecter personnellement les règles de confinement afin de préserver le plus possible votre sécurité et celle de vos proches. En mettant plus d’énergie et d’attention sur ce que vous pouvez contrôler, vous augmentez les chances de vous sentir moins anxieux.

4. Cadrer et diminuer la recherche d’informations afin de laisser le cerveau se reposer un peu. L’idéal est de se donner des périodes fixes et limitées dans le temps pour obtenir le portrait de la journée. Par exemple, vous pouvez vous permettre une période de 10 minutes le matin, l’après-midi et en soirée afin de consulter les sites de nouvelles. Éviter la période avant le coucher afin de ne pas trop activer votre cerveau et nuire ainsi à votre sommeil.

Fais ça court (pour les gens pressés 😊) !

En cette période de confinement, nous vivons beaucoup de stress. Ce dernier est en partie généré par la perte de nos habitudes, la diminution des habiletés de prédiction de notre cerveau et le surdosage d’informations. Pour nous aider, il est nécessaire d’instaurer une nouvelle routine, d’être réaliste sur ce qui est sous notre contrôle et de cadrer temporellement la consultation des sites de nouvelles et des réseaux sociaux.

Le coin des curieux !

Duhigg, C. (2016). Le pouvoir des habitudes. Paris : Flammarion.

Nogueira, R.; Peltier, N.E.; Anzai, A.; DeAngelis, G.C.; Martínez-Trujillo, J.; Moreno-Bote, R. (2020). The effects of population tuning and trial-by-trial variability on information encoding and behavior. The Journal of Neuroscience, 40(5), 1066-1083.

Quiroga, R.Q. (2012). Concepts cells: the building blocks of declarative memory functions. Natural Review of Neuroscience, 13(8), 587- 597.

Pennycook, G. et Rand, D.G. (2019). Lazy, not biased: Susceptibility to partisan fake news is better explained by lack of reasoning than by motivated reasoning. Cognition, 188, 39-50.