Dans la tête d’un TDAH - Un TDAH et ses émotions

Entrevue avec M. Boivin* présentant un TDAH

*Nom fictif afin de préserver l’anonymat de l’interviewé.

L’acronyme TDAH signifie Trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité. Dans le contexte de cette entrevue, la personne ne présente pas de symptôme d’hyperactivité.

- 4e partie -

Sandra Guimond : Quelles sont les émotions que vous fait vivre un TDAH ?

M. Boivin : (moment de réflexion). Je dirais de la détresse, gêne, frustration, peur et une sensation d’impuissance.

Sandra Guimond : Qu’est-ce qui vous fait ressentir de la détresse ?

M. Boivin : Quand vous vous apercevez qu’une information a disparu de votre mémoire comme si elle n’avait jamais été là, une sensation de légère panique s’empare de vous. La panique va être proportionnelle à la situation vécue. Par exemple, se réveiller et ne pas se rappeler l’endroit où on a déposé ses lunettes. Trouver une paire de lunette sans avoir de lunette pour s’aider à voir c’est anxiogène et difficile. Être en auto et soudainement ne plus se rappeler où on s’en allait c’est aussi stressant. Il me reste 5 secondes pour me rappeler si je dois prendre cette sortie avant que je sois trop loin. Si je ne sais pas où je m’en vais, comment savoir si cette sortie est la bonne ?

Sandra Guimond : Parlez-moi de la gêne ?

M. Boivin : Je suis trop gêné, je ne peux pas! (rire). Sérieusement, je m’engage à faire quelque chose et ça sort de ma mémoire. Ne pas me rappeler le nom de la conjointe d’un ami ou le nom de ses enfants. Ne pas me rappeler leur âge non plus. Ne pas me rappeler le nom de la compagnie pour laquelle ils travaillent. Ça me donne l’impression que c’est de ma faute, que je ne m’intéresse pas suffisamment aux gens, mais pourtant je fais un effort. Des fois cela me revient facilement sans effort, mais plus souvent qu’autrement, je n’y arrive pas. J’ai honte que les gens que j’aime se souviennent plus de moi que moi d’eux.

Sandra Guimond : Pourquoi vous sentez-vous de la frustration, envers quoi êtes-vous frustré ?

M. Boivin : Je suis frustré contre moi-même, contre la situation. Ça m’arrive particulièrement quand je fais des erreurs d’inattention. Je regarde l’erreur commise et c’est tellement évident que j’ai fait une erreur que je me trouve taré de l’avoir faite. Je me dis que même un TDAH ne peut pas expliquer une erreur aussi évidente.

Des fois, pour tenter de ne pas faire d’erreur, je prends le temps d’y réfléchir consciemment et malgré cela, parfois, je fais quand même des erreurs d’inattention. Par exemple, je pourrais prendre le temps de me questionner si je dois tourner à gauche ou à droite puis arriver à une conclusion hors de tout doute que c’est à gauche. Une fois que j’ai tourné, je me rappelle que c’était finalement à droite que je devais aller.

Sandra Guimond : Parlez-moi de la peur et en quoi vous voyez une différence avec l’anxiété ?

M. Boivin : Pour moi, l’anxiété est basée sur ce que je vis actuellement, tandis que la peur c’est le niveau de stress qui s’ajoute en pensant au futur. Je constate que je fais plus d’erreurs d’inattention que lorsque j’étais plus jeune, mais comme mentionné précédemment, je suis aussi plus stressé, plus fatigué et j’ai aussi plus de responsabilités. Il y a quand même un doute qui s’ajoute quand je pense au futur : « Comment mon trouble va s’empirer dans 10 ans ? 20 ans ? 30 ans ? Est-ce qu’il pourrait arriver un moment dans ma vie où mon cerveau ne retiendra plus rien ? Est-ce que je pourrais même me mettre à oublier des choses vraiment importantes pour moi ? »

Sandra Guimond : Et votre sentiment d’impuissance ?

M. Boivin : J’ai fait de gros efforts et les améliorations que j’ai obtenues sont énormes. Par contre, cela ne m’empêche pas de vivre les effets du TDAH. Les pertes de mémoire sont quand même là c’est juste que je récupère plus rapidement des situations problématiques. Il y a un maximum que je peux faire et même si ce maximum donne des résultats respectables, j’aimerais que cela soit encore mieux. Je ne serai jamais au niveau de quelqu’un qui n’a pas un TDAH d’où le sentiment d’impuissance.

Sandra Guimond : Comment qualifieriez l’intensité de ces émotions ?

M. Boivin : J’ai appris à vivre avec ma situation. J’ai une conjointe qui comprend ce que je vis et j’ai mis en place des stratégies pour me rendre plus efficace en situation d’oublis. Actuellement, les émotions que mon TDAH me fait vivre sont généralement de courte durée et de faible intensité. Il n’y a rien que je ressens qui m’empêche de bien vivre ma vie.

Sandra Guimond : Dans votre discours, je comprends que vous essayez d’éviter la médicamentation, pourquoi ?

M. Boivin : À mon niveau de distraction, je suis probablement un bon candidat. Par contre, je n’aime pas l’idée de prendre des médicaments sur une base quotidienne pour le reste de mes jours. Je pense que s’il existe un moyen de s’en sortir sans médicament que c’est une bonne chose à essayer en premier.

Je crois que certaines personnes ne pourront pas s’en sortir sans médicamentation non plus. Dans mon cas, j’ai préféré me donner de bonnes habitudes et d’utiliser certains trucs et astuces pour compenser mon manque d’attention. Ce n’est pas parfait, mais je subis moins les effets de mon TDAH. J’ai réussi à amener mon TDAH à un niveau acceptable. Ayant amené cela à un niveau acceptable, j’ai jugé que ce n’était pas nécessaire de prendre de la médicamentation.

Sandra Guimond : Comment jugez-vous que ce soit acceptable ?

M. Boivin : Personne ne s’en plaint. Cela inclut mon gestionnaire, mes collègues, mon chef d’équipe, les gens des autres équipes, mes amis, ma famille et surtout ma conjointe.

Sandra Guimond : Si quelqu’un se reconnaissait dans votre histoire, que lui recommanderiez-vous?

M. Boivin : De se faire évaluer. Ensuite, si l’évaluation indique un trouble d’attention, de voir la partie qui peut être améliorée dans sa vie sans médicamentation. Un psychologue peut aider à apaiser les émotions vécues, à développer et à mettre en place des stratégies. Lorsque les améliorations sont en place, si ce n’est toujours pas suffisant, il peut être nécessaire de considérer la médicamentation.

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