L’ANOREXIE : les différents stades d’évolution de la maladie et le rôle des intervenants - Troisième partie

5. Le rôle des intervenants

Plusieurs éléments théoriques permettent un éclaircissement sur la façon dont un intervenant peut intervenir sur l’estime personnelle des jeunes filles anorexiques. Mais tout d’abord, l’intervenant doit être en mesure de reconnaitre les différents stades d’évolution de cette maladie (phases 1 à 4) et il doit identifier dans quelle phase la cliente se situe au moment des rencontres, puisqu’il aura à ajuster sa façon d’accompagner la cliente en fonction du stade atteint.

De fait, dans la phase 1 et 2, la jeune anorexique est fortement susceptible de rejeter l’aide d’un professionnel cherchant à augmenter son estime personnelle, peu importe la méthode employée. L’accompagnement et le soutien devraient porter davantage sur des aspects concrets de la réalité de la jeune (Wilkins, 2011; Chabrol, 2004). Durant cette période, être soutenant par rapport aux inquiétudes de la jeune anorexique, en lien par exemple avec l’aspect scolaire, pourrait être aidant. Dans ce contexte, il s’agirait par exemple de favoriser la diminution de l’anxiété en lien avec le retard scolaire que son hospitalisation aurait engendrée et qui pourrait avoir un impact sur ses performances académiques auxquelles elle tient tant. Travailler l’estime de soi s’avère à ce moment illusoire, étant donné que son « identité anorexique » est omniprésente et qu’inévitablement elle empêchera inconsciemment l’introspection. Puis, avant même d’espérer une augmentation de l’estime personnelle, encore faut-il que la cliente puisse être ouverte à l’exploration de soi, ce qui n’est pas le cas lors de la phase 2 de la maladie (Wilkins, 2011; Chabrol, 2004). De là toute la nécessité d’élaborer un « plan de soin adapté à l’état d’évolution de la patiente » (Wilkins, 2011, p.69).

Dans la phase 3 de l’évolution de l’anorexie restrictive, la jeune anorexique commence à être plus ouverte à un suivi en par un intervenant. Elle peut exprimer une réelle envie d’échanger sur son vécu et de comprendre le sens de ses comportements anorexiques. Elle demeure toutefois avec des lacunes sur le plan identitaire et un suivi peut faciliter la reconnaissance de ses forces, de ses faiblesses, de ses aptitudes et de ses compétences. Par l’exploration de soi et de ses expériences passées et présentes, l’estime de soi de la jeune est susceptible de se renforcer. En effet, par la réappropriation de son vécu, par l’introspection, par l’autoévaluation et par l’acceptation de ses différences par rapport aux autres, la jeune commence à se définir en tant que personne. Elle apprend à se connaitre et à reconnaitre les émotions qui l’habitent. En d’autres mots, elle se construit une identité personnelle positive et saine (André & Lelord, 1999).

6. Conclusion

Ce que nous pouvons retenir de l’anorexie mentale est la complexité de l’évolution de la maladie et la rigidité dans laquelle est prise la jeune fille qui en souffre. Cette rigidité inhibe le cours du développement chez l’adolescente, l’empêchant par le fait même de découvrir son potentiel, sa valeur. Avant même de s’estimer, elle aura la tâche ardue de se construire une identité personnelle et, pour y arriver, le parcours sera long et périlleux.

Quant aux rôles des intervenants auprès de cette clientèle, il se divise à mon avis en trois étapes. La première étape est le soutien psychologique en lien avec l’anxiété scolaire. En effet, le retard dans les matières scolaires ou les absences scolaires sporadiques ou de longue durée suscitent beaucoup d’anxiété chez les jeunes anorexiques. Elles ne l’exprimeront peut-être pas par des mots, mais les gens près d’elles pourront percevoir cette anxiété s’ils sont attentifs. Voici quelques exemples de signes d’anxiété observables : des inquiétudes redondantes en lien avec l’école, des interrogations qui reviennent sans cesse, une insistance persistante pour éviter les absences scolaires, un besoin de presser le cours des évènements, des décisions prises rapidement et un refus de revenir sur cette décision (rigidité), etc.

La deuxième étape est l’accompagnement commençant par l’exploration de soi et se terminant par un choix de carrière qui reflètera les intérêts, la personnalité et les aptitudes réelles de la jeune. Ce suivi aura sa place davantage à partir de la 3e phase d’évolution de la maladie ou lorsque la jeune se sentira prête à s’engager dans ce type de processus d’aide. Souvenons-nous que l’estime personnelle des jeunes filles n’existe pas ou existe peu, et ce, depuis probablement plusieurs années. C’est le regard des autres qui compte pour elles, leur valeur dépend des autres et non d’elles. Pour cette raison, elles se montrent souvent fortes et confiantes. Encore une fois, elles tentent de plaire. Elles désirent être valorisées. En fait, elles doivent l’être afin de ne pas s’écrouler psychologiquement. En conséquence, leur choix de carrière risque d’avoir été grandement influencé par leur famille ou le monde extérieur. De là toute l’importance de prendre le temps de faire un processus d’orientation complet et adapté à leurs besoins particuliers afin qu’elles puissent faire le bon choix.

Références

André, C. & Lelord (1999). L’estime de soi : s’aimer pour mieux vivre avec les autres. Paris: Odile Jacob.

Chabrol, H. (2004). L’anorexie et la boulimie de l’adolescente. Paris: Presses Universitaires de France.

Santé publique Canada. (2002). Rapport sur les maladies mentales au Canada. Chapitre 6: Les troubles de l’alimentation. Gouvernement du Canada. Site web:phac-aspc.gc.ca/publicat/miic-mmac/chap_6- fra.php.

Vanderlinden, J. (2006). Vaincre l’anorexie mentale. Bruxelle: De Boeck Université.

Wilkins, J. (2011). Adolescentes anorexiques : Plaidoyer pour une approche clinique. Montréal: Les Presses de l’Université de Montréal.

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