Le TDAH : prendre conscience des biais évaluatifs pour de meilleures pratiques cliniques - Cinquième partie

4.3. Biais socio-culturels

Les biais activés par la société ou la culture sont nombreux. J’ai circonscrit ma réflexion à l’impact du genre et de l’apport des changements du système éducationnels et culturels dans le diagnostic du TDAH. Ces trois facteurs m’apparaissent les plus pertinents afin de tenter d’expliquer la hausse vertigineuse du nombre de personnes souffrant de TDAH.

Impact du genre

Le TDAH semble nettement plus présent chez les garçons que chez les filles. La méta-analyse de Skounti et coll. (2007) suggère un ratio « garçon-fille » oscillant entre 3 :2 à 9 :1. L’étude de Bruchmüller, Margraf et Schneider (2012) s’est attardée à évaluer les causes de cette prédominance masculine. La méthode a consisté à envoyer 4 vignettes cliniques à 1000 psychologues pour enfant. La première vignette mettait en scène un jeune garçon présentant tous les critères diagnostiques du TDAH. La deuxième vignette utilisait la même situation, mais le personnage central était une petite fille. La troisième vignette rapportait le cas d’un petit garçon qui présentait quelques critères de TDAH, sans atteindre les seuils cliniques cependant. La quatrième vignette présentait la même histoire, mais elle mettait en scène une petite fille. Les résultats démontrent que la majorité des psychologues consultées donnent bien le diagnostic de TDAH lorsque les critères cliniques sont atteints (vignettes 1 et 2). Cependant, environ 17% des psychologues ont posé un diagnostic de TDAH lorsque les critères cliniques n’étaient pas satisfaits (vignettes 3 et 4). De plus, si le personnage de la vignette « Non TDAH » était un petit garçon, les psychologues donnaient deux fois plus souvent le diagnostic de TDAH que si la vignette mettait en scènes une petite fille.

La recherche de Bruchmüller, Margraf et Schneider (2012) appuie donc le fait qu’un nombre relativement important de psychologues ne semble pas adhérer strictement aux critères diagnostiques du TDAH. Cette façon de faire peut expliquer en partie le phénomène de surdiagnostic de ce trouble. Dans le doute, plusieurs évaluateurs semblent préférer donner l’étiquette TDAH plutôt que de s’astreindre. Il sera intéressant de discuter lors des prochains paragraphes de l’apport du système éducationnel et de la culture pour expliquer ce réflexe clinique. De plus, il apparaît que le genre de l’enfant a un impact très important dans la décision d’un professionnel de donner le diagnostic de TDAH lorsque le portrait clinique est mitigé. Cette façon de faire pourrait s’expliquer par le fait que le prototype de TDAH « collerait » plus au genre masculin qu’au genre féminin. Il est possible que les garçons soient victimes de stéréotypes voulant que leur agitation et leur distractibilité s’inscrivent nécessairement dans un trouble psychologique. Nonobstant les causes du phénomène, il apparaît important de vérifier tout particulièrement les bases de notre raisonnement clinique lorsqu’une demande d’évaluation de TDAH est effectuée pour un garçon.

Changements du système éducationnel

Les biais amenant les psychologues à préférer poser le diagnostic de TDAH lorsque le tableau clinique est mitigé peuvent être en partie expliqués par des changements importants survenus dans le système éducationnel lors des dernières années. Ces changements sont de deux ordres selon Stolzer (2009) : économiques et sociologiques.

Dans un premier temps, il est constaté que l’augmentation accélérée du nombre de nouveaux cas aux États-Unis est survenue suite à l’adoption d’une loi en 1991 qui donnait des subventions aux écoles pour les cas d’enfants souffrant de TDAH. Le système éducatif public souffre de sous-financement chronique aux États-Unis. Stolzer (2009) émet l’hypothèse que le système éducationnel américain a pu mettre en place une dynamique favorisant la déclaration d’un nombre toujours plus grand de TDAH afin de pallier à son déficit financier.

Stolzer (2009) suggère aussi que l’école est soumise, comme le reste de la société, à des impératifs de vitesse et d’efficacité. L’étiquette de TDAH serait donnée promptement, car elle permettrait d’avoir une réponse et un traitement rapide aux problèmes comportementaux des enfants. Le ratio coût-efficacité serait relativement faible à court terme avec un diagnostic de TDAH. Dans plusieurs cas, le diagnostic peut se faire en 15 minutes avec un médecin de famille et le traitement consiste souvent à donner seulement une médication pour « calmer » l’enfant. Dans ce contexte, la pression est très grande sur les intervenants en santé pour donner le diagnostic de TDAH. Elle pourrait amener, inconsciemment ou non, les professionnels à poser un diagnostic en cas de doute afin d’être certain que le jeune aura droit à de l’aide pour faire face à ses problèmes. Malheureusement, même si les raisons sous-jacentes à ce choix sont nobles, il est très risqué d’amener le jeune à subir des traitements qui ne sont pas adaptés à sa réelle condition.

Mutations culturelles

Le dernier biais discuté consiste à l’impact des changements culturels qui ont cours depuis les dernières années dans les pays occidentaux. Timimi (2004) affirme que la vision de l’enfance est en mutation en Occident. Il apporte l’idée que la tâche d’élever un enfant est devenue très anxiogène pour les parents et les institutions scolaires au cours des dernières décennies. Les enfants ont des droits clairs dans nos sociétés et l’État peut intervenir sévèrement si ces droits sont bafoués. D'un côté, les parents et les enseignants sentent une grande pression afin de contrôler davantage les enfants, mais en même temps, ils ont moins de ressources en temps et en moyens afin d’atteindre cet objectif.

Selon Timimi (2004), une anxiété culturelle résulte des demandes contradictoires des sociétés occidentales. Cette anxiété crée un contexte idéal pour adhérer massivement au concept de TDAH. L’intervention physique étant de plus en tabou en Occident, il est possible que la médication soit perçue comme une façon de contrôler l’enfant sans le toucher physiquement. Cette façon de faire est extrêmement rassurante, car elle permet de satisfaire les attentes de notre culture par rapport à l’éducation des enfants. La médication psychostimulante ne servirait donc pas toujours à aider l’enfant, mais à calmer une société qui a perdu ses repères pour exercer son autorité sur sa progéniture. La vision de Timimi semble une autre hypothèse très intéressante pour expliquer l’explosion du nombre de nouveaux cas de TDAH des dernières années.

Cette partie de l’article section a permis de mettre en évidence qu’il existerait plusieurs biais expliquant le phénomène de surdiagnostic du TDAH. Les professionnels en santé mentale apparaissent soumis à une forte pression pour poser ce type de diagnostic. Ils semblent coincés par de multiples influences émanant des sphères personnelle, méthodologique, sociale et culturelle. Il apparaît donc très important de prendre conscience de ces multiples biais affectant le jugement clinique. Comprendre que les biais font partie intégrante de notre mode de raisonnement cognitif est une étape nécessaire pour pouvoir remédier à leurs possibles impacts négatifs. La reconnaissance de nos propres préjugés est essentielle afin de pouvoir les surmonter.

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