L’ANOREXIE : les différents stades d’évolution de la maladie et le rôle des conseillers d’orientation - Première partie
Grâce à cette article, vous aurez ainsi l’occasion de vous familiariser à votre tour à l’anorexie restrictive et aux différents stades d’évolution de la maladie ainsi qu’au rôle des intervenants œuvrant dans ce contexte.
1. L’anorexie au Québec
Plusieurs auteurs s’entendent pour dire que l’anorexie restrictive – la plus fréquente étant la phobie de la prise de poids et le rejet de toute nourriture – est une pathologie destructrice qui prend de l’ampleur depuis plus d’un siècle au Québec (Chabrol, 2004; Pommereau & de Tonnac, 2007; Vanderlinden, 2006; Wilkins, 2011). Les centres hospitaliers ont ainsi dû s’adapter à cette clientèle grandissante. Pour ce faire, les médecins se sont intéressés davantage aux sources de l’anorexie, à l’évolution de la maladie ainsi qu’aux traitements adaptés à cette clientèle, dont les services mis en place dans ces complexes n’arrivaient pas à soulager la souffrance. En effet, contrairement à bien des êtres en souffrance, les anorexiques maintiennent leurs comportements autodestructeurs et refusent les traitements offerts, malgré les risques alarmants pour leur vie (Wilkins, 2011).
2. Les sources de l’anorexie
Encore aujourd’hui, les sources de l’anorexie sont inconnues (Wilkins, 2011). Toutefois, les professionnels de la santé affirment que plusieurs facteurs déterminants pourraient influencer l’émergence d’un trouble des conduites alimentaires, qu’ils soient socioculturels, intrapsychiques, génétiques ou familiaux (Chabrol, 2004; Santé publique du Canada, 2002; Wilkins, 2011). L’explication la plus probable, selon Wilkins, est celle-ci : « cette maladie est essentiellement l’expression d’une impasse sur le plan identitaire […] un dysfonctionnement du développement global » (Wilkins, 2011, p.17). Voici comment cela pourrait se traduire. L’adolescente qui voit son corps se transformer ressentirait possiblement une crainte de devenir grosse, provoquant par le fait même un désir de minceur. Ainsi, commence un régime banal qui procure une sensation de contrôle sur le corps et un sentiment de bienêtre et de fierté. Ce passage obligé – l’adolescence – joue un rôle déterminant dans la définition de l’identité. Selon Wilkins (2011), l’adolescente anorexique qui s’était jusqu’à présent formée une identité en fonction des attentes de son entourage, entreprend un projet qui lui est propre : maigrir. La réussite de son projet de minceur est directement en lien avec certaines caractéristiques souvent communes aux anorexiques : « perfectionnistes, très performantes à l’école et en dehors de l’école, et dont le passé est excellent à tout point de vue […] et nourrit de belles ambitions sur le plan professionnel »; (Wilkins, 2011, p.39).
Ainsi, les adolescentes anorexiques entreprennent leur premier projet de réalisation personnelle avec toute l’énergie et le perfectionniste dont elles savent faire preuve (Wilkins, 2011; Vanderlinden, 2006). De fait, la perte de poids encourage leurs comportements anorexiques. D’un côté, la sensation d’avoir enfin le contrôle sur leur vie s’associe à la sensation de jeûne et à la perte de leurs premières formes de femme. D’un autre côté, cette perte de féminité ainsi que l’aménorrhée qui s’en suit indiquent un besoin inconscient de fixation ou de régression dans le développement, permettant ainsi de retarder la phase séparation-individualisation qui les angoisse probablement (Wilkins, 2011).
Ce temps d’arrêt, qui empêche la continuité de leur développement, indique un refus de vieillir (Wilkins, 2011), mais pour quelles raisons? Tout d’abord, l’entrée dans l’adolescence est susceptible d’effrayer les jeunes anorexiques qui se sentent la plupart du temps incapables de se définir comme personne. En effet, s’étant modelées aux exigences de la société ou de leur famille, ces jeunes anorexiques ignorent souvent qui elles sont réellement. Leurs compétences, leurs aptitudes, leurs qualités, tout comme leurs faiblesses, leur ont été confirmées, la plupart du temps, par le regard des autres sur elles et sur leurs réalisations (Wilkins, 2011). Pour ces raisons, leur estime de soi est souvent extrêmement déficiente, ce qui s’avère paradoxal étant donné qu’elles ont toujours été reconnues pour leurs compétences — ce qui aurait pu également renforcer leur estime personnelle (Chabrol, 2004; Wilkins, 2011). Mais au final, il est nécessaire de savoir qui nous sommes avant même d’être en mesure de nous accorder une valeur (André & Lelord, 1999).
En résumé, les jeunes filles anorexiques n’auraient souvent pas d’identité personnelle, ni de projet identitaire en lien avec leurs forces, leurs faiblesses, leurs qualités ou leurs habiletés. Elles se connaissent peu ou pas du tout et vivent par procuration au travers le regard des gens qui les entourent. Leur projet de minceur est possiblement leur premier projet de vie qui donne enfin à ces jeunes filles un certain contrôle sur leur existence. Il commence d’une intention souvent réelle d’obtenir un corps sans défaut, mais cache souvent un désir inconscient de freiner leur développement, le temps de s’approprier leur être par un projet de minceur qui se retournera, au final, contre elles (Chabrol, 2004; Santé publique du Canada, 2002; Wilkins, 2011).