Le TDAH : prendre conscience des biais évaluatifs pour de meilleures pratiques cliniques - Quatrième partie
4.2. Biais propres à l’acte d’évaluer
L’acte d’évaluer est un processus complexe et délicat. Lorsque nous évaluons un client ou un patient, nous nous référons toujours à un modèle explicite ou implicite de la réalité à évaluer. Nous nous appuyons donc sur des concepts plus ou moins bien élaborés de ce qu’est le TDAH lorsque nous investiguons les difficultés attentionnelles d’une personne. Cette façon de faire est nécessaire afin de nous permettre d’appréhender la réalité avec les ressources limitées de notre système cognitif. Malgré tout, elle rend l’évaluateur vulnérable à une série de biais qui peuvent augmenter radicalement le nombre de faux-positif de TDAH. Grégoire (2006) rappelle qu’un biais est une heuristique de raisonnement ou de jugement qui permet d’analyser et d’encoder des informations, mais qui peuvent conduire à commettre des erreurs d’une manière répétée. Il a répertorié quatre principaux biais affectant le jugement clinique du praticien.
Le premier biais est celui de confirmation. Dans la vie quotidienne, lorsque nous devons faire un choix ou lorsque nous émettons une hypothèse, nous avons tendance à vouloir rechercher ou interpréter l’information disponible afin de confirmer ce que l’on pense déjà d’une situation donnée. Le biais de confirmation a comme avantage de nous permettre de traiter plus rapidement l’information disponible. Cependant, il rend plus difficile l’exploration d’hypothèses alternatives, car ces dernières pourraient suggérer que nous nous trompons. Ce constat est toujours un peu déplaisant… En évaluation, ce biais peut s’activer dès les premières minutes d’une rencontre selon Grégoire (2006). La lecture de la demande de consultation et les premiers instants d’une entrevue amène le cerveau humain à créer rapidement un prototype de la personne évaluée. Si l’évaluateur ne prend pas garde à cet automatisme, il peut facilement être biaisé par son désir de confirmer son hypothèse initiale.
Le biais de confirmation s’active souvent simultanément avec le biais de disponibilité. Ce dernier consiste à évaluer la fréquence d’occurrence d’une situation, d’un événement ou d’une psychopathologie en fondant son jugement sur la disponibilité des informations. Un phénomène est jugé probable, car il vient facilement à l’esprit. Les données les plus saillantes sont celles qui viennent le plus naturellement et le plus aisément à la conscience. Cette saillance amène une représentation disproportionnée de ces informations dans le raisonnement. Par exemple, un psychologue spécialisé dans l’évaluation des troubles de personnalité aura plus facilement tendance à voir rapidement les éléments liés aux troubles de personnalité plutôt qu’à un trouble anxieux. Cette reconnaissance rapide des symptômes liés au champ d’expertise combiné avec le biais de confirmation peut rapidement amener des évaluations faussées. Je pense que ce genre de dynamique peut s’instaurer rapidement avec le TDAH. Ce trouble est celui le plus fréquent et le mieux connu par les intervenants travaillant avec des enfants. Il peut donc être plausible de penser que cette hypothèse diagnostique peut survenir rapidement dans l’esprit des évaluateurs. Le biais de disponibilité combiné avec celui de confirmation peut ainsi possiblement contribuer au phénomène du surdiagnostic du TDAH. Il serait intéressant d’effectuer une étude à ce sujet afin de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.
Le troisième biais est celui lié à la récence d’une information. Le cerveau humain a tendance à se rappeler plus facilement ce qu’il vient de vivre ou ce à quoi il a été confronté récemment. La personne victime de ce biais va avoir tendance à donner une importance disproportionnée aux événements récents, sans les mettre en perspective avec d’autres informations plus anciennes et parfois contradictoires. Elle risque ainsi de prendre de mauvaises décisions. Par exemple, un intervenant travaillant dans une clinique spécialisée dans le traitement des troubles de personnalité sévère a participé à une formation portant sur le Trouble bipolaire. Les trois semaines suivant cette formation, il peut avoir tendance à donner ce diagnostic nettement plus souvent qu’auparavant. Lors des réunions d’équipe, il peut argumenter d’une manière véhémente pour justifier son diagnostic plutôt que celui de Trouble de personnalité que les autres intervenants appuyaient. Il est possible qu’il ait raison à quelques reprises. Cependant, l’augmentation et la récurrence du diagnostic de Trouble bipolaire dans sa pratique peuvent suggérer qu’il est en partie victime d’un biais de récence.
Le dernier biais recensé est celui lié aux limites de la mémoire de travail. Cette composante cognitive permet de garder active une information afin de pouvoir travailler dessus ici est maintenant. La mémoire de travail est en quelque sorte l’espace qui permet de réfléchir et d’effectuer des inférences. Malheureusement, elle est limitée en capacité et en temps. En général, la mémoire de travail peut garder un maximum de 7 éléments pendant trente secondes à deux minutes (Aubin et coll. 2007). L’évaluation psychologique demande la prise en considération de plusieurs éléments dans un laps de temps relativement court. De par sa nature, le biais est un « raccourci cognitif » qui permet d’évaluer rapidement une situation en évitant une désagréable surcharge cognitive. Il est possible que la masse d’informations présente lors de toute évaluation engorge la mémoire de travail et stimule ainsi l’utilisation de biais induisant parfois des erreurs diagnostiques.
En somme, le cerveau humain est ainsi fait qu’il ne peut pas tout traiter d’une manière simultanée. Pour l’aider à considérer rapidement les informations, les individus ont recours à des biais qui peuvent parfois être utiles, mais qui peuvent aussi occasionner des erreurs systématiques. Les intervenants en santé peuvent être confrontés à ces biais lors de leur travail d’évaluation. Il est donc très important d’en prendre conscience comme évaluateur afin d’en limiter les impacts négatifs possibles.
Cette section a présenté des biais personnels affectant les évaluateurs. Cependant, la société et la culture induisent aussi leur lot de biais qui peut amener les individus à percevoir le degré d’occurrence d’un trouble d’une manière plus élevée que son taux réel. Ce thème est le sujet central de la prochaine section.