Le TDAH : prendre conscience des biais évaluatifs pour de meilleures pratiques cliniques - Troisième partie
4. Biais possibles
4.1. Confusions diagnostiques
Selon Nigg (2006), la démarche classique pour le dépistage du TDAH est principalement de nature comportementale. Cette démarche est utile, mais elle me semble comporter des limites. Par exemple, les échelles comportementales recensent des symptômes communs à plusieurs psychopathologies du DSM-IV TR. Ce manque de spécificité augmente ainsi les risques d’effectuer un faux-positif. Des confusions diagnostiques peuvent facilement survenir dans un tel contexte.
Je conçois aussi les difficultés attentionnelles comme un symptôme qui peut s’activer dans différentes situations ou psychopathologies. Il ne faut pas oublier que les capacités attentionnelles sont limitées dans le temps et différentes selon les individus. Nous avons tous par moment des difficultés de concentration. Il est donc important de bien saisir le contexte dans lequel s’inscrivent les fragilités attentionnelles afin d’évaluer d’une manière juste si elles sont le signe de la présence d’un TDAH.
Prenons un exemple pour illustrer mes propos. Alexandre est un jeune homme de 13 ans qui vient de débuter un secondaire I. Les performances scolaires ont chuté radicalement et cette situation inquiète les parents. Lors de la remise du premier bulletin, les professeurs rapportent que le jeune semble inattentif en classe. Il apparaît agité et les enseignants doivent souvent répéter les consignes avant qu’il ne se mette en action. Les parents ont aussi remarqué que la période des devoirs demande un encadrement serré de leur part. Alexandre semble toujours se perdre dans ses pensées. Une tendance à la procrastination est notée.
Une simple analyse comportementale pourrait conclure en la présence d’un TDAH. Cependant, une évaluation psychologique plus poussée pourrait permettre de découvrir que la dynamique familiale est teintée par beaucoup de disputes dernièrement et qu’Alexandre a terriblement peur que ses parents ne divorcent. Nous pourrions aussi découvrir qu’il vit une situation de taxage à l’école qui le rend terriblement nerveux. Il se pourrait qu’on ait tout simplement à faire à un jeune anxieux qui voit avec crainte les nouvelles demandes liées au processus d’autonomisation propre à l’adolescence.
La vignette clinique illustre l’importance de comprendre l'origine des difficultés attentionnelle: elle peut être soit cognitive, soit psychologique. Sur le plan cognitif, un enfant peut présenter certaines fragilités, telles qu'une dyslexie ou une dyspraxie, qui vont épuiser ses ressources attentionnelles car elles sollicitent quotidiennement des stratégies pour compenser ses difficultés. Un enfant avec de tels troubles est un enfant qui se fatigue plus vite, car il doit mobiliser plus d'énergie. Aussi, il est possible que le trouble d’apprentissage diminue l’estime personnelle du jeune et l’amène à se sentir inadéquat ou anxieux face aux demandes scolaires. Certains enfants peuvent vouloir se soustraire à ce stress en évitant les tâches demandées ou en faisant semblant de ne pas écouter les demandes scolaires des professeurs ou des parents. Ces différentes hypothèses appuient l’importance de distinguer les sources de difficultés pour la mise en place d’un plan d’action spécifique afin d’aider le jeune d’une manière optimum.
Sur le plan psychologique, l'anxiété peut aussi être un générateur de difficultés attentionnelles. Il faut donc faire attention de ne pas confondre anxiété et hyperactivité-impulsivité. Un enfant qui bouge constamment, qui court au lieu de marcher ou semble monté sur « un petit moteur » peut tout simplement être un enfant qui a du mal à canaliser ses peurs et ses craintes. Comme une toupie, l'enfant anxieux peut être en mouvement perpétuel pour ne pas s'effondrer. Selon Boyer (2005), l’anxiété a un impact certain sur les capacités de concentration. Cette dernière accaparerait de précieuses ressources en mémoire de travail. Ce type de mémoire est en quelque sorte l’espace de réflexion de l’humain et sa capacité de traitement est limitée. Si des affects anxieux accaparent le lieu de traitement de l’information, la personne est moins apte à traiter les différentes demandes de son environnement. L’anxiété pourrait aussi amener l’individu à porter une attention excessive sur certains détails et à ralentir ainsi son traitement de l’information. Si l’évalué ne traite pas les stimulations assez rapidement, il est possible qu’une certaine « congestion » de l’espace cognitif survienne et provoque des difficultés à bien exécuter des tâches plus longues et plus complexes. Il se peut donc que les affects anxieux créent des difficultés chez une personne à gérer d’une manière efficace les demandes de la vie scolaire ou professionnelle.
Il est possible que des difficultés à poser un diagnostic différentiel soient en partie à l’origine des fluctuations de la prévalence et de l’augmentation de l’incidence du TDAH. La nature principalement comportementale de l’évaluation du TDAH créé un terrain fertile à la confusion diagnostique. L’anxiété et les troubles d’apprentissage sont des exemples patents de ce genre de confusion. Il apparaît donc très important de bien saisir le contexte dans lequel s’activent les difficultés attentionnelles avant de poser le diagnostic de TDAH. Des difficultés attentionnelles clairement identifiées et comprises permettent de donner des solutions mieux adaptées pour aider la personne en difficulté.
Le problème à bien poser un diagnostic différentiel n’est pas le seul biais auquel est confronté le praticien lors de son évaluation. La prochaine section s’intéresse au processus mentaux qui peuvent biaiser le jugement clinique de tout évaluateur en santé mentale.